Rares sont les romans historiques qui osent défricher les sentiers de notre mémoire laissés en jachère. Car souvent, le déluge d’informations et la médiatisation des conflits ont tôt fait de saturer le sujet quelques années à peine après la fin des hostilités.
Catharsis et réconciliation vont de pair avec un travail de mémoire collectif essentiel afin de cicatriser les blessures. Or s’il y’a un conflit qui a marqué le XXème siècle et qui n’a toujours pas fini de remplir des étagères dans toutes les bonnes libraires, c’est bien la guerre du Liban. Un grand homme du Liban, Ghassan Tuéini avait bien dit dans « l’Histoire Illustrée du Liban » paru chez les Editions Larousse en 1988 que « La guerre du Liban n’appartient pas à l’Histoire, puisqu’elle continue ».
Certes, plusieurs grands livres d’analyse politique ont été écrits et publiés de pair avec des livres de photos illustrant l’atrocité des combats. Mais en matière d’interprétation personnelle, le rapport du nombre de livres publiés par rapport à l’ampleur du désastre est relativement mince.
La génération de nos parents, avait vingt ans au début de la guerre du Liban. Il est compréhensible qu’ils aient voulu tourner la page sitôt le calme revenu pour se reconstruire. Pour la plupart, l’on ne parle plus que des « évènements » dans les salons. Exit les mentions des barricades, des tranchées, des massacres, déplacement de populations, exils, kidnappings et faillite en cascades. Les tabous sont tenaces.
Les trentenaires d’aujourd’hui ne regardent que vers l’avant, pressés de subsister, se réinventer une vie et une place dans ce monde. Qui ne le comprendrait pas ? Alors que les adolescents, leurs jeunes cousins, ne vivent que pour aujourd’hui. N’ayant plus de passé, comment peuvent-ils alors se projeter solidement dans l’avenir ? Bien sûr, plusieurs initiatives d’ONG et de la société civile ont vu le jour afin de garder le souvenir vivant, mais elles restent trop peu nombreuses face à l’immensité de la tâche à accomplir.
Aujourd’hui les Libanais réussissent admirablement mondialement et se trouvent dans les plus hautes sphères mais malgré cela, il survit toujours dans leur cœur un petit pincement de nostalgie et une question : « Et si la guerre du Liban n’avait pas eu lieu, où donc aurais-je été ? ». C’est en apprenant alors des erreurs du passé que se construit l’identité citoyenne et collective du futur. Mais la reconstruction des villes sans vision fait tourner en rond. Car ce sont surtout les âmes qui nécessitent d’être guéries de leurs traumatismes.
C’est donc à ce travail courageux de mémoire que s’est adonné Josselin Monclar dans son Roman « Paradis Perdus » publié chez l’Editeur.
Amateur d’histoire et d’origine libanaise, Josselin est un grand connaisseur du Liban, de sa culture, de ses religions, de son passé et de son présent. Il occupe aujourd’hui un poste important dans un grand groupe industriel. Mais n’ayant vécu la guerre du Liban que de Paris par survivants et médias interposés, hanté par ce passé dont il ne reste plus que des ombres, il décide courageusement à la manière de Dante Alighieri dans la « Divine Comédie », de plonger dans les enfers à la recherche du paradis jusqu’à l’absolution.
L’ouvrage est un plaisir à parcourir. La plume de Josselin, telle la lame d’un poète zen, est tantôt légère et lumineuse dissipant les ténèbres. Tantôt incisive, mêlant nostalgie de l’orient d’antan aux excavations brutales d’un passé qui se dérobe. Josselin est un archéologue urbain, n’hésitant pas à aborder de front certains sujets controversés, lorsque les caresser du bout de pinceau ne suffit plus.

La trame se situe en 1992, soit juste après le silence des canons et les accords de Taëf. Un jeune étudiant français est accueilli par une famille de chrétiens libanais, à Beyrouth. Au contact des habitants du quartier d’Achrafieh et de son ami Libanais Paul qui lui racontent leur ville, leur souffrance au sortir de la guerre, mais aussi leurs espoirs, il va mûrir et se métamorphoser. Cette quête initiatique est surtout un hommage au Liban d’aujourd’hui, doublé d’une magnifique histoire d’amour. Mais le Liban, c’est aussi les cèdres millénaires, la terre biblique, le cantique des cantiques, le vin, le miel, les mézzés, l’encens et le lait, le narguilé, la convivialité et l’ouverture.
Qu’importe les défis du quotidien, une nouvelle génération talentueuse se hisse aujourd’hui un peu partout sur les podiums du monde entier : mode, économie, technologie, sport, arts et culture. Cette génération reste attachée à son pays. Cadmus, prince phénicien, n’a-t-il pas dû quitter en catastrophe ses rivages boisés du Levant voler au secours de sa sœur Europa enlevée par Zeus ? Ce n’est qu’après avoir transmis lors de ses voyages l’alphabet et la connaissance qu’il put enfin rentrer au pays victorieux.

L’ordre renaitra-t-il du chaos ? « Paradis Perdus » de Josselin Monclar n’est pas seulement une démarche un peu Proustienne à la recherche du temps perdu; mais aussi une ode au retour vers un futur qui gît toujours assassiné. “En guise de madeleine, vous reprendrez bien un peu du miel des Cèdres de Dieu ?”