Journaliste, auteur à succès, chroniqueuse à L’Orient-le-Jour, mais aussi Rédactrice en Chef de L’Officiel Levant Fifi Abou Dib est une figure humaniste de référence au Liban et à l’international. L’espace d’un après-midi ensoleillé d’automne, Fifi s’est donc prêtée au jeu et a généreusement accepté de répondre aux questions de Kamsyn concernant le métier de journaliste dans notre pays.
Célébrée pour la finesse de sa plume, ouvrant avec délicatesse les portes d’un univers onirique plein de poésie, Fifi est aussi incisive et percutante lorsqu’il s’agit de dénoncer les injustices et autres dérives qui ponctuent parfois notre quotidien.

Qu’est-ce qui vous attire le plus dans le métier de journaliste ?
C’est un très beau métier, un de ceux qui vous permettent d’être au premier rang du spectacle du monde, et ce privilège vous oblige. C’est le rôle de celui qui a vu et entendu ce que les autres n’ont pas pu voir et entendre, de leur transmettre son témoignage avec fidélité. Et c’est là le plus difficile : cette fidélité. Parce qu’on est tous conditionnés par notre culture et nos préjugés. On ne peut pas demander à un daltonien de parler de couleurs. Il faut, au départ, avoir un solide bagage de connaissances permettant d’analyser avec objectivité la situation dont on veut parler. Qu’il s’agisse de mode, de guerre ou de politique, la même éthique, les mêmes recherches et la même précision dans la vérification de l’information s’imposent.
Pensez-vous que cette carrière est difficile pour une femme, en général; et pour une femme libanaise en particulier ?
Sincèrement, non, pas plus que pour les hommes.
Quels sont les obstacles auxquels vous aviez fait face tout au long de votre parcours journalistique ?
Il y a bien sûr les obstacles physiques, les difficultés de déplacement dans un pays en guerre, par exemple, ou d’accès à certains lieux, mais il y a toujours un moyen de les contourner. Il y a l’obstacle du respect de la vie privée d’autrui qui fait qu’on ne peut pas toujours poser toutes les questions qui nous passent par la tête au cours d’une interview. Il y a l’obstacle d’ordre éthique qui nous empêche évidemment de crier ou d’écrire toutes les insultes qui nous étouffent parfois mais que nous devons maquiller parce que nous nous adressons à un public et que nous engageons la responsabilité du média pour lequel nous travaillons.

Qu’est-ce que le journalisme aujourd’hui ?
Une profession un peu déboussolée depuis qu’elle est submergée par la concurrence des réseaux sociaux et la rapidité de l’information et de la désinformation. Le métier tel qu’on le connaît est au seuil de grands changements et de toute une refonte de son fonctionnement traditionnel. Le support papier va-t-il disparaître ? Ce qui est sûr c’est qu’il restera pour tout ce qui touche au luxe. Rien ne remplace le papier glacé pour un beau shoot de mode.
Y a-t-il vraiment une liberté d’expression au Liban ?
Oui et non. Plutôt oui que non. Le Liban a longtemps été la seule bulle de liberté du monde arabe. On connaît les cibles de la censure : religion, sexe, atteinte à un dirigeant étranger, et j’ajouterais toute information qui pourrait passer pour complaisante à l’égard d’Israël. Tout l’art est de faire passer les choses avec subtilité.
Quel serait l’avenir de la presse écrite, à votre avis ?
Quel est l’avenir du livre et de tout support écrit, d’une manière générale ? On sait qu’à notre époque les gens lisent de moins en moins. Nous sommes aujourd’hui dans une civilisation de l’image. Mais qui sait, l’histoire nous montre qu’il y a toujours des périodes de réaction aux périodes d’excès.
La presse écrite a-t-elle toujours un impact comme auparavant ?
La presse organique, sur papier, est aujourd’hui systématiquement soutenue par un support digital. L’impact du digital est plus vaste. Celui du papier est plus profond. L’information est la même, c’est la manière dont elle est traitée qui fait l’impact (qualité des textes, des photos et de la mise en page).
Ecrire au quotidien est-il parfois une routine lassante ?
La presse écrite, traitée comme elle doit l’être, est indispensable pour s’informer à la source. Les réseaux sociaux véhiculent des informations peu fiables. De plus, elle offre des analyses et des éclairages qui permettent de se faire une idée précise de l’événement. Chaque matin, ou chaque soir, on s’enquiert de l’état du monde qui nous entoure comme on s’enquiert du temps. C’est une routine comme une autre. Indispensable à certains, inutile pour d’autres. Personnellement, cela fait une dizaine d’années que je ne regarde plus les chaînes locales, surtout les informations télévisées. Au sensationnalisme qui joue avec mes nerfs pour vendre de la pub, je préfère la sérénité de la lecture, que ce soit sur mon ordinateur ou dans mon journal livré par la poste chaque matin.

Considérez-vous les droits des journalistes respectés au Liban ?
Il n’y a même pas à comparer entre le Liban et d’autres pays de la région. Selon les régimes, les journalistes sont souvent les premières victimes des caprices du pouvoir. Normal, puisqu’ils sont, comme on l’a dit, au premier rang du spectacle, et qu’ils sont en principe les premiers informés. Mais on peut dire que leur situation au Liban est enviable par rapport aux journalistes d’autres pays. Sinon, c’est au journaliste de se faire respecter et d’imposer sa crédibilité. Son immunité en depend.
Que conseillez-vous à vos jeunes confrères ?
Le conseil que m’a donné ma chef de service, Marie-Thérèse Arbid, quand j’avais 23 ans : Garde les yeux et les oreilles ouverts, évite les points d’exclamation, compare les points de vue. Ne t’emballe pas, écris à froid.
Twitter: @fifiaboudib
Articles: http://www.lorientlejour.com/author/319-Fifi-ABOU-DIB
Propos receuillis par Tylia El Hélou pour Kamsyn