La Diplomatie à l’Heure de Twitter

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L’art complexe de la diplomatie ne se limite plus aux salons feutrés des Ambassades et aux couloirs d’organisations internationales. A l’heure du tout numérique, la e-diplomatie est perçue comme une politique d’influence vitale en vue de promouvoir ses intérêts à l’étranger. Les Ambassadeurs ont ainsi investi les réseaux sociaux, en particulier Twitter depuis lequel ils combinent positions officielles et avis personnels rompant ainsi avec les codes anciens de la Diplomatie traditionelle.

Les particularités de cette plateforme (immédiateté, absence d’intermédiaires) la rendent également attrayante pour des personnalités extérieures à la sphère diplomatique, dans un monde où les relations internationales ne sont plus l’apanage des seuls États. Pour autant, la contradiction entre les usages de ces nouvelles plateformes (brièveté des messages, recherche du buzz) et les pratiques diplomatiques établies rendent leur utilisation plus complexe qu’il n’y paraît. On peut en effet se demander si la diplomatie est à sa place sur des réseaux sociaux qui prospèrent sur le registre de l’émotionnel. Aussi, l’hyper-activité du président Trump sur Twitter d’où il semble dicter sa politique étrangère questionne sur cette révolution dans les relations diplomatiques.

Une nouvelle forme de Diplomatie

La Diplomatie Digitale semble être avant tout le signe de la nature changeante de la gestion des affaires internationales. Les diplomates sont dépourvus du monopole de l’expression des relations inter-étatiques et les télégrammes et autres dépêches ont été remplacés par des tweets qui tranchent avec la communication anachronique des appareils diplomatiques.

Nous serions donc passés d’une diplomatie traditionnelle dite «de club» limitée à un nombre restreint d’acteurs se retrouvant dans des cercles aux portes closes, à une  “diplomatie de réseaux”, impliquant un nombre important d’acteurs issus de la société civile en les faisant interagir au sein de nouveaux espaces sans barrières ni filtres que sont les réseaux sociaux. Ceux-ci multiplient ainsi de manière exponentielle le nombre d’acteurs impliqués et par extension la portée des messages diffusés. Il devient dès lors primordial pour les antennes diplomatiques d’être au contact et d’interagir avec les opinions publiques, les ONGs, les milieux économiques, le monde universitaire puisque ces nouveaux acteurs font désormais partie intégrante du jeu international. Là encore, il est crucial de changer de paradigme en préférant à la communication traditionnelle descendante (top-down), une communication conversationnelle plus inclusive. En cela, les réseaux sociaux permettent d’humaniser les interactions en les éloignant des procédures diplomatiques d’un autre temps.

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L’Institut Twiplomacy mesure chaque année la force des dirigeants sur la scène de la diplomatie digitale mondiale

Nécessité d’une stratégie 2.0

A l’ère du tout-numérique, l’influence ne se mesure plus uniquement aux nombres d’ambassades, de consulats ou de lycées mais aussi à travers une présence accrue sur les plateformes en ligne. La e-diplomatie apparait désormais comme un domaine incontournable de la stratégie d’influence : que ce soit à travers la création de plateforme ou de contenus d’informations en plusieurs langues, ou bien à travers une présence sur les réseaux sociaux, il faut, pour exister et promouvoir ses valeurs, être présent et actif sur toutes les plateformes.
En France, le ministère des affaires étrangères semble avoir saisi la nécessité de la modernisation que cette révolution numérique impliquait. Ainsi, dès 2012, le Quai d’Orsay a ouvert son compte Twitter disponible dans quatre langues y compris l’arabe, afin de communiquer sur l’action du ministère à travers le monde. Aujourd’hui le compte totalise près d’un million d’abonnés et sa version arabe en compte 220k. Signe de l’effort entrepris, le ministère a confié à Twitter la réalisation d’une console, sorte de tableau de bord de l’activité du réseau diplomatique français où sont cartographiés tous les échanges diplomatiques publics.

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La console de l’activité du réseau diplomatique français

Une voix diplomatique différente ?

Les diplomates ont trouvé un cadre d’expression privilégié avec Twitter qui, en l’espace de quelques années est devenu un puissant mégaphone dans les relations internationales. Le simple fait d’être présent sur Twitter est un acte diplomatique. Les comptes d’ambassadeurs sont en effet des outils subtils mais très efficaces pour promouvoir les intérêts d’une nation et projeter sa diplomatie. Ils deviennent alors des influenceurs numériques entretenant une communauté de followers mais ayant aussi la capacité d’attirer de nouveaux individus. Cette personnalisation de la communication diplomatique est importante en ce qu’elle permet de s’affranchir du lexique diplomatique assez formaté et d’étayer les communiqués officiels d’une touche de chaleur humaine, voire même d’humour dans certains cas. Les posts d’ambassadeurs ont surtout à trait au culturel et visent à faire découvrir leur pays d’accueil aux ressortissants mais aussi à promouvoir la culture de leur pays d’origine. Certains ambassadeurs n’hésitent pas à faire part de leur expérience personnelle dans leur pays d’accueil.

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L’ex-ambassadeur britannique au Liban, Tom Fletcher est l’auteur de “Naked Diplomacy. Power and Statecraft in the Digital Age” dans lequel il souligne la nécessité pour les diplomates d’être présent sur twitter. Celui qui, durant sa mission à Beyrouth a posté 10 000 tweets (soit 6 à 7 par jour), a par ailleurs écrit un blogpost très remarqué sur son experience libanaise.

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De même, le précédent Ambassadeur de France au Liban, Emmanuel Bonne désormais Directeur du cabinet de Jean-Yves le Drian fait partager ses sorties hebdomadaires mais ne se refuse pas quelques commentaires subtils sur la vie politique libanaise.

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Toutefois, cette instantanéité ne va pas sans poser de problème. A l’inverse des communiqués et dépêches, les tweets ne sont pas validés en amont par les ministères concernés et cette liberté totale dont dispose les diplomates peut s’avérer problématique. La polémique n’est jamais loin et un simple choix de mots peut faire s’embraser les réseaux sociaux et rapidement créer des tensions, voire même des crises diplomatiques. En effet, si la plupart des ambassadeurs ou chef d’états ont tendance, pour critiquer l’action d’un gouvernement, à recourir à des pourparlers diplomatiques, certains n’hésitent pas à faire part de leur mécontentement et à interpeller leurs homologues directement sur les réseaux sociaux. Comme l’illustrent les controverses récemment nées de l’utilisation massive de Twitter par le président Donald Trump certaines attaques peuvent avoir des conséquences dramatiques. Fort de ses 30 millions d’abonnés le président multiplie les attaques frontales vis à vis de ses homologues et ce, souvent dans un langage lapidaire.

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Le 4 Décembre, quelques jours après son échange téléphonique avec la présidente taiwanaise, Donald Trump a glacé les relations sino-américaines en postant une série de tweets critiquant la politique de change et les projets militaires chinois

L’exemple des reactions qu’a suscité la réelection de Hassan Rouhani en Iran est assez éclairant sur les différentes stratégies adoptées quant à la liberté de position laissée aux diplomates. Visiblement tenue de respecter l’obligation de réserve, le compte twitter de l’ambassade de France en Iran a attendu la publication d’un communiqué de l’Elysée congratulant le président réélu et s’est contenté de le reprendre sans commentaire.

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A contrario, la Chef de la Diplomatie Européenne Federica Mogherini a elle directement félicité le président pour sa réélection et promis que l’Union européenne poursuivrait la mise en œuvre de l’accord de 2015 sur le nucléaire.

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La sphère digitale est aussi le lieu òu des souverains et familles royales choisissent de communiquer et échanger avec leurs citoyens. A ce titre le Roi d’Espagne Felipe VI, la Reine Laetizia et la Monarchie Espagnole publient régulièrement via @Casareal des messages aux contenus visuels soignés et très appréciés que ce soit sur des sujets culturels, économiques, militaires ou même sportifs.

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La Reine Elizabeth II d’Angleterre et la famille Royale toujours très suivis par la presse internationale ont quant à eux accompli leur transition vers le monde digital avec succès. Suite à l’attaque terroriste de Manchester par exemple, La Reine Elizabeth II a ainsi visité en personne les victimes et blessés en leur apportant tout son soutien et réconfort.

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Enfin, des think-tanks prestigieux rejoignent aussi la conversation en ligne en plus d’initiatives régionales cherchant à analyser les challenges actuels. A titre d’exemple l’Institut Européen de la Méditerranée qui se focalise sur les relations Méditerranéennes et les relations avec l’Europe met en avant la Conférence de Barcelone EuroMeSCo (1 et 2 Juin 2017) pour confronter l’Extremisme violent dans la zone Euro-Med.

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Le paradoxe de Twitter

Comme le rappelle l’ex-Ambassadeur du Chili en Afrique du Sud et en Inde, Jorge Heine, l’usage de twitter dans la praxis diplomatique est empreint d’un paradoxe. En effet, d’un côté chaque usager doit essayer de se montrer le plus drôle, le plus imprevisible possible pour accroitre son nombre de followers. A plus grande provocation, plus grande réponse donc plus grand nombre de followers et donc diffusion virale du message. D’autre part, ces pratiques sont a l’antithèse des pratiques diplomatiques conventionnelles. L’humour est rare en diplomatie et peut s’avérer contre-productif. L’imprévisibilité est la dernière chose que les gouvernants désirent en matière de relations extérieures. De plus, la nature compressée et spontanée des échanges sur Twitter (limité à 140 caracteres) s’oppose en tout point au caractère étendu et réfléchi des communiqués diplomatiques. Finalement, la diplomatie devient publique et rompt avec la discrétion qui était pourtant jusqu’ici au coeur du métier.

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Les changements induits par les nouvelles technologies lors de ces dernières décennies ont été si profonds que même une profession traditionnelle et marquée par des pratiques et des coutumes centenaires comme la diplomatie ne peut s’y soustraire. Si l’explosion de la e-diplomatie permet une certaine démocratisation des processus de diffusion et de participation au processus diplomatique, elle engendre toutefois des insuffisances puisque la nature même des réseaux sociaux semble diamétralement opposée aux codes diplomatiques.

Ainsi, plusieurs diplomates restent prudents et plus attachés aux usages traditionels en faisant profil-bas. Plus généralement ce phénomène est assez révélateur quant à la tournure que prennent nos société : à l’heure de la tyrannie du buzz, du tout-instantanée et de la sur-information, les usages constructifs et apaisés tels que ceux de la diplomatie sont balayés.

Aussi, envisager l’e-diplomatie amène à comprendre le glissement des relations diplomatiques entre Etats vers une géopolitique plus inclusive, faites de nouveaux acteurs, où chacun dispose d’un droit à la parole qu’il peut faire entendre en ligne avec tout les avantages et risques que cela peut engendrer.

Article par Léo Poupineau @leopoup pour KAMSYN

Direction Emile E. Issa 

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