Entretien avec Jean-Gabriel Ganascia, Philosophe et Chercheur

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C’est dans le cadre exceptionnel de la Résidence des Pins, Ambassade de France au Liban que Son Excellence l’Ambassadeur de France au Liban M. Bruno FOUCHER ainsi que Mme Véronique AULAGNON, Conseillère de coopération et d’action culturelle ont accueilli le Professeur Jean- Gabriel GANASCIA, philosophe et chercheur, pour sa conférence intitulée: ‘Renaissance, Promesses et Incidences Sociales de l’Intelligence Artificielle’ en partenariat avec la Banque Libano-Française BLF.

Devant une salle comble, réunissant diplomates, chercheurs, penseurs, journalistes et habitués fidèles au rendez-vous, le Professeur Ganascia a ainsi abordé plusieurs thèmes d’actualité, relatifs à l’intelligence artificielle, ainsi qu’à ses opportunités et défis.

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Professeur Jean-Gabriel GANASCIA         Photo DR

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Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) et membre de l’Institut universitaire de France, Jean-Gabriel Ganascia est président du Comité d’éthique du CNRS (Comets) depuis le 1er septembre 2016. Informaticien, titulaire d’une thèse d’université et d’une thèse d’État passées à l’Université d’Orsay, il est spécialisé en intelligence artificielle. Ses sujets de recherche actuels portent sur l’apprentissage machine, la fouille de textes, le versant littéraire des humanités numériques et l’éthique computationnelle. Professeur d’informatique à l’UPMC depuis 1988, il dirige l’équipe Acasa (Agents cognitifs et apprentissage symbolique automatique) du laboratoire d’informatique LIP6. Il a également créé et dirigé le groupement d’intérêt scientifique     ‘sciences de la cognition’ au CNRS. Par ailleurs, Jean-Gabriel Ganascia est membre de la Cerna, la Commission de réflexion sur l’éthique de la recherche dans les sciences du numérique de d’Allistene (Alliance des sciences et technologies du numérique).

KAMSYN a donc posé quelques questions, au Professeur Ganascia, afin de solliciter son éclairage, concernant les promesses de l’intelligence artificielle, ses incidences sur l’avenir de la société et le rôle du philosophe, du chercheur et du juriste.

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Professeur Ganascia, pouvez-vous nous présenter en quelques mots les promesses de l’intelligence artificielle quant à l’hybridation Humanité/Machine ?

‘S’agit-il d’une hybridation de l’Homme et de la machine ou de l’humanité et de la machine ? Telle est la question essentielle. Certains nous affirment que l’être humain va s’augmenter avec des dispositifs électroniques jusqu’à devenir un être dont la mémoire sera partiellement numérique, les membres mécaniques et la conscience téléchargée. Or, cela relève plus de l’imaginaire que de la réalité. En revanche, avec le numérique, la culture entendue comme medium de communication entre les hommes se transforme ; il s’ensuit que l’humanisme, au sens d’étude et d’attention aux œuvres humaines se transforme et qu’il passe par l’utilisation de machine’.

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Le futur rendu possible par l’intelligence artificielle peut faire rêver et faire peur en même temps. Votre dernier livre ‘ Le mythe de la Singularité : faut-il craindre l’intelligence artificielle ?’ éditions du Seuil a reçu le Prix Roberval, grand public, 2017, mention ‘coup de cœur des médias’. Si vous deviez répondre à cette question en quelques mots pour nos lecteurs et lectrices, que leur diriez-vous ?

‘L’intelligence artificielle est une discipline scientifique qui aide à mieux comprendre l’intelligence en la décomposant en facultés cognitives élémentaires que l’on simule à l’aide de machine. De cela, il n’y a rien à craindre. Cependant, ces capacités intellectuelles simulées peuvent être mises à profit dans de nombreuses applications dont certaines bénéficient aux hommes, par exemple dans le domaine de la santé, mais dont d’autres peuvent être néfastes et moralement condamnables, comme les applications policières ou celle qui visent à fabriquer de fausses images en incrustant le visage d’une femme sur une vidéo pornographique pour lui nuire… Plus que jamais, la vigilance est de mise pour trier le bon du mauvais et écarter ce dernier’.

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Combien sommes-nous loin de pouvoir un jour télécharger les informations contenues dans notre cerveau sur un support externe ou même un robot plus résistant et plus performant ?

‘Aujourd’hui, nous ne disposons d’aucun résultat scientifique qui laisse entendre que ce sera un jour possible. Cela relève uniquement de l’imaginaire. De plus, du point de vue philosophique, ce serait paradoxal, puisque cela signifierait que le matérialisme poussé à l’extrême, c’est-à-dire un monisme radical, conduirait à un dualisme tout aussi radical, puisque l’âme serait indépendante du corps…’

Vous êtes membre depuis 2015 de l’Institut Universitaire de France, quelles responsabilités d’après vous pour le Philosophe et le Juriste dans l’accompagnement des progrès scientifiques et technologiques ?

‘Il me semble qu’il convient, plus que jamais, que le philosophe réfléchisse aux conséquences du développement des technologies sur l’humanité dans son ensemble, non seulement l’humanité actuelle, mais l’humanité future aussi, et que, ce faisant, il suscite une réflexion éthique éclairée par les sciences, mais aussi par une connaissance de la nature humaine. C’est pour ces raisons que j’ai accepté de présider le comité d’éthique du CNRS depuis trois ans’.

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